Oui, c’est grâce à nos limites que nous pouvons nous illimiter ! Sans aucune exception nous sommes tous atteints sur terre de déséquilibres qui nous affectent plus ou moins profondément sur le plan physique ou psychique. Les maladies qui touchent l’homme sont légion : diabète, fibrose kystique, emphysème pulmonaire, sclérose en plaques, maladies coronariennes, arthrite, rhumatisme, fibromyalgie, psoriasis, exéma ; certains souffrent de bipolarité, de dépressions nerveuses à répétition, de stress, de fortes angoisses, de névroses ; tandis que d’autres sont touchés par le sida ou le cancer.
En outre, comme si ce n’était pas assez, nous sommes pour beaucoup d’entre nous aux prises avec des dépendances virulentes : jeu, alcool, drogue, travail, sport.
Mais ce qui est merveilleux, c’est de savoir que l’équilibre, qui est toujours relatif à un sol instable, serait impossible sans les déséquilibres. Il s’agit de savoir « comment » nous allons nous servir de nos faiblesses pour les rentabiliser et devenir plus forts. Donc, vive nos déficiences, nos fragilités, nos insuffisances, notre indigence à certains niveaux, puisque ce sera grâce à elles que – par défi !– nous pourrons nous surpasser et devenir ce que nous sommes vraiment capables d’être.
Il s’agit ici, comme nous le rappellerait le philosophe André Moreau, de faire l’usage positif du négatif. D’où sa maxime bien connue : « Le mal est le fumier dont le bien a besoin pour devenir le mieux. »
Mais d’où peut provenir la force de l’homme, dans de telles conditions, si ce n’est pas de lui-même ? Notre être profond, plus nous-même que nous-même et qui sait mieux que nous ce qui est bon pour nous est celui sur qui nous pouvons le plus compter pour nous aider à nous dépasser ! Mais pour cela, il faut le faire exister (car au départ il n’existe pas ; il n’y a que la personne aux prises avec elle-même), le constituer, en convertissant notre personne en ce qu’elle a de plus vaste en elle. Il s’agit là, non de poser un acte de foi en un Dieu extérieur à soi, mais de reconnaître notre propre divinité et de l’actualiser. Il est question ici de devenir des « eupractor », comme nous le suggère notre philosophe dans son Traité sur l’Eupraxia, c’est-à-dire d’opérer la position infinie de soi-même par la confiance hyperbolique. Cheminer pendant des années pour tenter de se connaître ne sert à rien, sinon à nous retarder dans notre processus d’éveil.
L’éveil se fonde sur une décision qui consiste à se servir de tout ce que l’on est sans rien rejeter de nous-même pour nous réaliser pleinement en cette vie. Ce n’est pas de la personne (avec toutes ses misères) dont nous devons nous délivrer, mais au contraire, c’est la personne qui doit nous servir à constituer notre être.
Ce n’est pas avec du bois vert qu’on allume un bon feu, mais avec du bois mort. – André Moreau