Chapitre 16

Toujours aussi chauds et ensoleillés, les jours suivants se succédèrent empreints des mêmes ravissements.

   Un soir que j’étais chez Dieter, je téléphonai à Montréal pour donner des nouvelles à mes proches. Ève me répondit et, par son excitation, Moreau comprit tout de suite que j’étais au bout du fil. Aussi s’empressa-t-il de prendre un second combiné et de me bombarder de questions relatives à mon voyage et à mes deux amis. Moreau était vraiment heureux pour moi de me voir vivre une telle aventure. Le doux son de sa voix et ses paroles affectueuses me touchèrent profondément. Puis, j’appelai Carlo, sans mettre l’emphase toutefois sur des détails trop crus qu’il aurait eu du mal à accepter. Évidemment, il pouvait les imaginer aisement, mais mieux valait ne pas le blesser davantage. En dépit de sa douleur, je sentais bien qu’il tentait de se montrer joyeux et conciliant. Mon cher Carlo. Je ne pus que le rassurer sur mon affection.

   Mes vacances donnèrent une occasion à Joël et Dieter de prendre congé de leurs affaires. Le jour, tous les quatre, Noémie comprise, nous réunissions à la piscine, soupions ensemble, riions et nous amusions. Nous allions aussi parfois faire des randonnées dans les villages avoisinants. Grasse, entre-autres, dont les effluves suaves de la célèbre Parfumerie Fragonard emplissaient nos narines, me rappella avec bonheur mon passage dans cette région une vingtaine d’années plus tôt!

   Jamais je n’eus à débourser un sou! Heureusement d’ailleurs, car des cinq cents dollars reçus de Carlo avant mon départ, je n’en avais emporté que quatre-vingt-dix. J’avais dû, ce qu’il ne sut jamais, en prendre plus des trois quarts pour payer mon loyer en retard. Je n’avais pas voulu lui faire part de mes problèmes financiers afin de ne pas le mettre dans l’embarras, mais cet argent tombé du ciel était arrivé à point nommé.

   Joël et Dieter s’occupaient desfrais divers à tour de rôle en me rappelant toujours que j’étais leur invitée. Tout en partageant mon temps entre les deux, je me familiarisais avec la présence de Noémie. Elle avait pris l’habitude de venir chez son amant tous les après-midis après son travail. Entre elle et Dieter, le calme était maintenant revenu et ils terminaient toujours la soirée ensemble.

   Joël prenait plaisir à me sortir et à me faire connaître les environs. Parfois, il m’emmenait au village voisin pour y prendre une consommation, ou encore dans un centre d’achat près de Nice où, main dans la main, nous furetions dans les petites boutiques. Il nous arrivait aussi de nous promener dans un boisé où coulait une source, pas très loin du village, en compagnie d’une Loulou frétillante et heureuse de gambader en toute liberté. Une fin d’après-midi, alors que le temps était à la pluie, assis l’un près de l’autre sur le canapé du salon, il me montra des photos de sa jeunesse, et d’autres, plus récentes, où je le voyais en compagnie de ses compagnes des dernières années, toutes très jolies. Je n’en revenais pas de ma chance. Un homme si beau, si cultivé, et si prévenant! Toutes ces femmes, et combien d’autres, auraient souhaité être à ma place. Et pourtant, c’était moi la privilégiée.

   Informé dès le début par Dieter de ma vision de l’amour, de la présence de Moreau dans ma vie et de mes autres compagnons, il me posait parfois des questions auxquelles je répondais en toute honnêteté. Je le pressentais ouvert et compréhensif. Au contact de son associé, il avait eu l’occasion de s’accoutumer à cette nouvelle forme de pensée. Jusqu’à maintenant, toutefois, quoique attiré par l’idée de la liberté en amour, il n’avait exploré cette voie avec aucune des femmes rencontrées. Ses amours avaient toutes été successives et exclusives, sauf dans les cas où, en tant que célibataire, il était passé d’une fille à l’autre sans s’engager.

   Deux jours avant mon départ, j’étais avec Dieter. Nous avons échangé nos impressions des deux dernières semaines. J’étais venue le retrouver en Europe, pourtant c’était de son meilleur ami que je m’étais rapprochée. Je voulais savoir, en toute franchise, comment il avait perçu la situation.

    __ Tu es une femme libre, Jennifer. J’éprouve toujours pour toi un sentiment extrêmement chaleureux et de te safoir heureusse auprès de Joël ne peut que me réjouir, me répondit-il aussitôt.

   Cependant, partisan comme moi d’une conception de l’amour où la sexualité était spontanée, il regrettait seulement de n’avoir pu se lier à moi plus intimement encore comme il l’aurait souhaité :

   » La préssence de Noémie à nos côtés, toujours fulnérable, m’a incité, à tort ou à raisson, à tort sans doute, précisa-t-il en esquissant un sourire confus, à prendre un peu mes distances fis-à-fis de toi. Tu n’as rien à te reprocher. Je n’ignore pas, poursuivit-il en prenant une mine amusée, que l’idée d’afoir deux noufeaux amants ne te possait aucun problème, et même, ajouta-t-il plus sérieusement, que cela aurait pu t’empêcher de sombrer dans un amour trop romantique afec Joël. Cette relation aurait pu aussi être très agréable et bénéfique pour moi. Je sais pertinemment qu’en me laissant prendre par la fragilité de Noémie, je me suis limité en foulant l’épargner. L’amour nous rend faibles, n’est-ce-pas?  Pour ce qui est de Joël, je méconnais ses sentiments réels quant à la possibilité d’une union partagée à trois ou à quatre », conclut-il en me laissant sous-entendre que son ami n’était peut-être pas encore assez disposé à ce genre de relation.

   Le voyage se terminait. J’allais quitter la Côte pour rentrer chez moi. Tout, dans cette aventure, m’avait comblée de joie. Dieter avait été à la hauteur de ses promesses. Avant le départ, quand je voulus le remercier pour ses douceurs, sa compréhension et son amitié, il me répondit que ces remerciements étaient superflus.

    __ Ta préssence, me dit-il en me prenant les mains vivement, a été pour moi un cadeau magnifique. A great gift! 

    Il me rappela également que tout ce que j’avais vécu ne correspondait, en fait, qu’à ma manière d’être et de penser, qu’il ne voyait dans cette expérience qu’un résultat conforme à ma vie.

   J’étais heureuse à l’idée de retrouver sous peu mes amis de Montréal. J’aurais tant de choses à leur raconter, me disais-je. Je pensais beaucoup à Moreau qui, par amour pour moi, n’avait pas hésité à m’accompagner à l’aéroport, me sachant ivre d’exaltation à la perspective de jouir prochainement de la présence des deux hommes qui m’attendaient.

   Je serais repartie très chagrinée, toutefois, si j’avais dû quitter Joël sans l’espoir de le revoir sous peu. Mais, dénouement inattendu, Dieter et lui devaient bientôt revenir au Québec pour affaires. Ils voulaient revoir l’éditrice qui les avait accompagnés à l’aéroport et vérifier l’authenticité des dons paranormaux de l’individu dont Jean-Pierre m’avait parlé quelques semaines plus tôt en le comparant à Nikola Tesla.

   J’avais réservé mon billet d’avion pour le mardi, tandis qu’eux avaient pris leur décision à la dernière minute. Ils espéraient, malgré tout, pouvoir partir en même temps que moi, mais ce fut impossible car l’avion était déjà rempli à pleine capacité. Ils arriveraient donc à Montréal un jour après moi! Lorsque Joël m’en avisa, outre cette petite déception, je jubilai à l’idée de continuer de profiter de sa présence pour dix jours supplémentaires!

   Le matin de mon départ, un brin nostalgique à l’idée de tourner la page sur ce voyage de rêve, j’embrassai Dieter en lui laissant un petit message amical pour Noémie, que je n’avais pas vue depuis deux jours, et, je partis en direction de l’aéroport avec Joël. 

   Revenue à l’endroit où, deux semaines plus tôt, j’avais eu la surprise de le voir, je me sentais aussi troublée en le quittant qu’à mon arrivée. Nous eûmes le temps de prendre un café au restaurant et de visiter quelques boutiques de l’aéroport en nous disant, une fois de plus, notre attachement mutuel. Le moment de nous séparer fut pénible lorsque, à la porte d’embarquement, il me serra très fort dans ses bras. Il me lança un dernier « Je t’aime! » en me regardant droit dans les yeux. Je lui rendis le mot magique avec la même intensité même si, devant le trouble qui s’empara de moi, je me demandais si tout cela n’avait pas été un rêve, un rêve merveilleux dont je devrais m’éveiller un jour.

   À bord de l’avion, j’admirai une dernière fois Nice s’étalant sous mes yeux avec ses palmiers, ses hôtels et la Méditerranée que je ne reverrais peut-être plus jamais. Ou certainement pas avant un bon bout de temps. À moins que…

   J’avais commandé, dans l’Invisible, une grande aventure. Elle s’était concrétisée. Tout, absolument tout dans ce voyage avait été extraordinaire! Et maintenant, cette aventure se poursuivait. 

   Les sept heures de vol s’écoulèrent rapidement. Pensées et souvenirs récents foisonnaient dans mon esprit. Mais plus j’approchais de Montréal, plus je pensais à mes proches, à Moreau, à Ève et aux autres, comme si une force magnétique, momentanément interrompue, m’attirait tranquillement.  

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