CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU

« Quoi ! C’est ça qu’elle appelle son sanctuaire ? Un appartement de deux pièces et demi ! » avait lancé avec un certain mépris une jeune femme venue chez moi quelques semaines auparavant à une de mes amies qui m’en avait fait part.

Au cours de la première année de mon installation auprès d’André Moreau, parce que j’étais amoureuse de lui et que je ne voulais rien manquer de l’enseignement jovialiste, je m’étais loué un petit appartement dans le même immeuble que lui. C’est vrai qu’il n’était pas grand, mais si exigu fut-il, je l’adorais.

Décoré de ma main avec de belles choses simples, orné de mes plantes et de mes livres, mais également de photos de femmes célèbres que j’avais fixées au mur, il correspondait parfaitement à l’atmosphère qui me convenait. En outre, inspirée et nourrie de l’énergie de la déesse grecque de l’intelligence et de la sagesse, j’avais même donné en son honneur un nom à cet appartement : l’Athénaüm ! Bref, au fur et à mesure que j’y vivais je l’investissais de force, sous l’inspiration des femmes importantes de l’Histoire qui avaient su exploiter leur potentiel pour devenir elles-mêmes ainsi que celle d’Athéna dont  l’énergie puissante me soutenait. Non que cette attention particulière relevait de l’idolâtrie, mais plutôt d’une forme de symbiose avec cette souveraineté à laquelle je souhaitais m’associer. Elle représentait en fait mon être profond, éternel, plus moi-même que moi-même, et en y pensant constamment, je le constituais comme le noyau même de mon identité.

J’étais au paradis dans cet appartement; c’était mon lieu de pouvoir. Sitôt entrée chez moi, en dépit de mes inquiétudes ou de mes angoisses, plus rien ne pouvait m’atteindre, me toucher ou me blesser. J’avais fait de cet appartement minuscule mon havre de paix, mon sanctuaire, mon refuge, mon royaume.

Combien de fois n’avais-je pas entendu dire de la bouche d’André qu’il importait de trouver sa place dans le monde. Or, celle-ci n’était pas le résultat d’une identification provisoire, mais permanente. Il fallait que ce soit un lieu fort dans un temps fort. Déménager sans cesse était le signe d’un manque de constance, de stabilité, et d’une incapacité à se fixer pour se centrer.

Avant de rencontrer André, je n’avais aucune idée de ce que représentait la densité du moment présent; je ne savais pas ce qu’était une charge ontologique. Si l’on veut bien comprendre cette expression, il faut se dire que certaines personnes dont l’énergie est dispersée sont d’une incroyable légèreté; ce sont des poids-plume dans l’existence. Je réalisais peu à peu que j’en étais peut-être un. Il ne m’appelait pas la girouette par hasard ! Il me fallait acquérir cette densité de façon à ne plus me sentir en orbite autour des autres, d’un idéal ou d’un modèle extérieur, mais bien circuler sur ma propre orbite, mue par un principe stable. Mais pour cela, il fallait que je m’applique à vivre autrement, à me concentrer sur l’essentiel. Alors que je croyais devoir abandonner certaines pratiques, habitudes ou croyances, c’était plutôt elles qui m’abandonnaient. Le travail sur moi-même se faisait par enchantement, tant que je ne m’efforçais pas de façon crispée à atteindre mot but. Aussi, dès que je m’abandonnais à mon être profond, il faisait mieux sans moi ce que j’aurais pu entreprendre sans lui.

Cette stabilité ne pouvait être atteinte que dans la mesure où je pouvais constamment me ramener à moi-même dans un lieu précis, dans un environnement chargé qui m’était propre. Le fait que j’aie connu de profondes transformations, des détours plus ou moins longs de tous côtés, que j’aie commis des erreurs, ne m’empêchait pas de savoir qu’il y avait un point d’absorption où je pouvais toujours me ressourcer. Mon lieu de pouvoir était donc l’équivalent physique de mon être métaphysique. Or, contrairement à ceux qui croient qu’un développement intégral nécessite des sacrifices et des renoncements, je m’engageais dans une perspective marquée par l’idéalisme, la facilité et la jouissance. Comme quoi on peut vivre l’aventure intégrale sans courir le monde, sans constamment déménager, sans être toujours à la recherche d’un horizon.

Mon sanctuaire était la preuve que j’étais rendue dans « ce pays où l’on n’arrive jamais »  dont parlaient les hippies. Moi, j’y étais parvenue, je me sentais bien, ma vie avait maintenant la force d’un rituel, même si je vivais un partnership amoureux ouvert ponctué de nombreuses rencontres érotiques.

Après 24 ans dans le même immeuble, mon sanctuaire s’est élargi comme s’il était désormais sans frontières. C’est comme demeurer dans une maison sans murs à partir de laquelle s’ouvrent des perspectives infinies. Le fait de vivre avec André, dans cette énergie qui n’est plus strictement la sienne, mais la nôtre, confère à ma vie une dimension que je n’aurais pu imaginer dans mes rêves les plus fous. Or, maintenant que j’y suis, je peux donner toute la mesure de ma créativité. Tels les prêtres qui vaquaient à leurs tâches dans le Temple du Soleil en Égypte, j’officie tous les jours de ma vie à une sorte de sacrement qui constitue à la fois une force, une protection et une nourriture.

Ces Temples au Soleil n’avaient pas de toit pour que la lumière puisse y entrer et éclairer les gestes des officiants. Telle est la lumière de l’être dans laquelle je me meus aujourd’hui sur le terrain que j’ai choisi.

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