CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU

André venait de terminer la rédaction de La Bible érotique, une brique de 907 pages qui relate plusieurs de ses propres expériences sexuelles, en plus de décrire ou d’expliquer avec humour les secrets de la séduction, l’art de la pénétration, les zones érogènes et les délices anales, l’homosexualité, le fétichisme, la bisexualité, la nymphomanie, et quoi d’autres encore ! Il souhaitait démontrer par là le caractère sacré de l’érotisme et de la sexualité au cœur de la vie quotidienne. N’oublions pas qu’André Moreau fut avec le docteur Frans Manouvrier le co-auteur de La Médiation sexuelle, un livre qui traitait d’un nouveau champ de recherche à peine exploré en Europe par un penseur comme Henri Van Lier et totalement méconnu au Québec, et qui allait provoquer moult scandales dans notre catholique province canadienne.  Ils furent les premiers  à donner des conférences publiques sur l’art de la communication amoureuse. On devine que la télévision d’alors ne pouvait passer sous silence l’activité de ces deux instigateurs d’une nouvelle forme de développement humain.

Les décennies passèrent, mais la réputation sulfureuse d’André Moreau ne cessa d’ameuter les populations à la fois avides et révoltées devant ce qu’il avait à dire. Comme la carrière de notre philosophe était passablement mouvementée, celui-ci savait pertinemment qu’à défaut d’enseigner son système de pensée à l’université, il pouvait compter sur la sexualité pour attirer des foules dans ses salles et financer ainsi son œuvre refusée par les éditeurs.

Parmi tous ceux qu’alléchèrent ses réflexions, il y eut le propriétaire d’un sex-shop, d’un salon de massage et d’un studio où il tournait des films pornos, un jeune homme apparemment avant-gardiste et ouvert d’esprit, qui voulait relever son image publique en attirant dans sa sphère un penseur capable d’éduquer sa clientèle à quelque chose de plus élevé. Il lui demanda s’il pouvait écrire un livre sur l’érotisme qui servirait de bréviaire à la promotion sociale de sa personne. En d’autres mots, il voulait se servir de notre philosophe comme d’un Messie qui lui permettrait de vendre des vibrateurs, des crèmes lubrifiantes et de la lingerie féminine.

André se mit immédiatement au travail. Il lui expédiait des tranches de son manuscrit chaque semaine. Or, à mi-chemin de la rédaction, voilà que le proprio en question se désiste ! Il venait de lire que les amoureux se servent souvent des noms d’animaux pour s’exprimer, comme par exemple mon petit cochon d’amour, mon beau zèbre ou mon lapin sucré. Du coup, incapable de comprendre de quoi il s’agissait, il supposa qu’André était un zoophile et pouvait être dangereux non seulement pour ses clients mais également pour lui. Lui, l’honorable propriétaire d’un honorable sex-shop ne pouvait certes pas se compromettre ! Des exemples aussi burlesques que celui-là, je pourrais en citer 1000 dont j’ai été témoin.

Pour son propre plaisir, André finit donc de rédiger ce pavé qu’il avait commencé et laissa le manuscrit terminé sur sa table d’écriture. Quelques mois plus tard, les yeux de son nouvel éditeur tombèrent sur ce qu’il considérait comme un trésor méconnu, si bien qu’il exprima son désir impérieux de le publier. Il en fit un très beau livre et en tira plusieurs exemplaires destinés à être vendus en librairie.

Afin de le commercialiser, il fallait cependant trouver une idée originale capable de frapper l’imagination du public. André eut un éclair de génie, ce qui est tout à fait normal chez lui. Avec l’accord de son éditeur qui aima le concept, il proposait de prendre une photo de lui habillé en cardinal avec moi dans le rôle de la pin-up ‘’ écourtichée ‘’ de façon à en faire un poster.

L’éditeur loua le costume qu’André enfila pour la circonstance, je revêtis une petite robe noire sexy et, La Bible érotique en main, je me serrai contre André l’air aguichant, la cuisse relevée. Les clichés se multiplièrent au fur et à mesure que nous prenions des poses érotiques en riant.

Plusieurs de ces photos étaient bonnes. Nous en avons choisi une. Elle aurait certainement eu un impact positif sur la vente des livres, mais avant même d’être agrandie pour en faire un poster, on nous expliqua que les pixels ne rendraient pas grâce à la précision de l’image. Le projet tomba à l’eau.

Avais-je été mal à l’aise de participer à cette prise de photos peu ordinaire ? Absolument pas, car m’associer de quelque façon que ce soit à l’œuvre d’André Moreau faisait déjà partie à ce moment-là de mon plan de vie. Quant à ce projet qui ne put aboutir, il est difficile de ne pas voir là l’œuvre d’une méchante sorcière : la crainte de la censure !

P.S. – Si vous n’avez pas encore lu La Bible érotique, je vous le recommande. Ce livre est un bijou de vérité qui vous éclairera sur des sujets restés tabous depuis trop longtemps au Québec et ailleurs !

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