__ Maintenant sur le dos, m’ordonna-t-il comme s’il effectuait un massage en règle.

   Ce que je fis tout naturellement. Il recommença alors, avec la même technique, à appliquer la crème sur mon ventre. Il l’étala partout, commença à me masser la gorge, chaque bras, puis la poitrine et le ventre. Je gardais les yeux fermés, un peu par timidité, mais aussi pour fixer le souvenir de ce geste dans mon esprit. Une fois de plus, après s’être agenouillé à mes côtés, il termina par le haut des cuisses et enfin, couvrit mes jambes en entier.

   À la fin de ce massage qui s’avéra tout aussi érotique que pratique, je n’ouvris les yeux qu’au bout de quelques secondes. Et alors, ce fut pour constater que son regard (je n’osai pas regarder plus bas) était irisé par le désir qu’il éprouvait secrètement pour moi. Je le remerciai ingénumentet, jetant un œil en direction de Dieter, je compris que ce dernier avait joui de la scène sans se sentir décontenancé. Son air amusé participait à la réjouissance. Je restai allongée, refermai les yeux et m’endormis doucement au soleil.

   Je ne sais combien de temps s’était écoulé lorsque, brusquement, j’entendis soudain une voix féminine troubler le silence. Relevant la tête, j’aperçus Noémie de l’autre côté de la piscine. Non loin d’elle, Joël se reposait, confortablement étendu dans le hamac. Dieter faisait quelques brasses dans l’eau.  En la voyant après avoir chassé l’eau de son visage d’un mouvement vif de la tête, il invita la jeune femme à venir le rejoindre. Sans se faire prier et d’un geste familier, celle-ci retira immédiatement sa petite culotte et sa robe moulante très sexy.  Sous nos yeux, elle dévoila un corps de femme digne des plus beaux magazines érotiques avant de se laisser glisser subrepticement dans l’eau.

   J’étais sincèrement heureuse de la revoir. En entendant ses cris de joie sous l’emprise de Dieter qui la soulevait pour la lancer dans l’eau, Joël quitta son hamac pour s’avancer vers la piscine et plongea. Afin de me rafraîchir et aussi de partager ce moment avec eux, je sautai dans la piscine en faisant… un gros plouf.

   Nous nous amusâmes ainsi un certain temps, nous chamaillant et nous éclaboussant à tour de rôle. Les hommes reprirent bientôt possession des matelas pneumatiques. Noémie profita de ce moment pour m’attirer dans un des coins de la piscine avec le désir de se confier à moi.

   Une grande différence d’âge nous séparait. Noémie avait vingt-cinq ans et, sans doute pour cette raison, cette dernière me percevait moins comme une rivale que comme une femme d’expérience capable de la comprendre. Sans retenue, m’accordant sa confiance, elle me fit part de son amour pour Dieter, mais surtout de son inaptitude à saisir le sens de son comportement envers les femmes. La sachant importante aux yeux de celui-ci, je la rassurai sur ses sentiments à son égard en l’invitant toutefois à se montrer plus souple avec lui :

    __ Dieter est ce genre d’homme qu’on ne peut enchaîner, lui dis-je. C’est justement parce qu’il est ainsi qu’il est si attachant et séduisant. Mais il t’aime et il est sincère. La seule façon de le garder auprès de toi est de le laisser libre, Noémie. En totalité. Même sexuellement. Et je sais de quoi je parle, insistai-je.

   Je lui racontai alors, dans les grandes lignes, ma manière de vivre, l’informai de la présence de Moreau dans ma vie, de même que de quelques autres.

    __ Tu es pareille à Dieter, alors! Une seule personne ne te suffit pas! vociféra la jeune femme d’un ton plus fort qu’elle ne l’aurait voulu. Et se retournant vers les hommes afin de s’assurer qu’ils ne l’avaient pas entendue, elle poursuivit, cette fois beaucoup plus bas, presque en murmurant :

    __ Non mais, c’est la nouvelle mode ou quoi?

    __ Il se pourrait peut-être, en effet, que cela devienne la mode de l’ère dans laquelle nous entrons. Pourquoi pas? enchaînai-je en réponse à son regard horrifié.

   » Tu crois que le mariage qui impose l’exclusivité aux partenaires répond réellement aux besoins affectifs des gens? Tu n’ignores certainement pas, Noémie, que la majorité des couples mariés vivent à trois ou à quatre dans le mensonge, laissant pour compte les personnes trahies. Que de souffrance, de culpabilité, de fourberie, de honte et de désarroi! Ces histoires-là existent depuis des millénaires : chacun promet fidélité à l’autre avec une sincérité louable, et pourtant, au fil du temps, malgré ses sentiments et les principes qu’il s’est imposés, il trahit ses engagements et échoue à préserver son bonheur.

   » Peut-on changer la nature humaine? poursuivis-je. Ne serait-il pas préférable, sachant cela, d’accorder à l’autre, par amour pour lui, toute la liberté à laquelle il a droit et de consentir, par là même, à la sienne propre? Tu sais, Noémie, c’est l’ouverture d’esprit dans la transparence ainsi que l’appui donné à l’autre qui importent, ou alors, c’est le mensonge avec toutes les difficultés qui en découlent. Supposons que toi et moi nous aimions le même homme, continuai-je, qu’est-ce qui nous empêcherait de vivre à ses côtés de façon autonome? Et si, à l’occasion, il devait rencontrer une belle jeune femme, gentille et intelligente, cela t’enlèverait-il quelque chose, ton charme, ta beauté, ton esprit, ta dignité?  Mais non!  Si ce comportement était admis dans la société par chacun, personne n’en souffrirait. Ce n’est qu’une question d’éducation.

    __ Oui, c’est bien beau tout ça, mais l’intimité entre un homme et une femme diluée par l’arrivée d’une tierce personne, qu’est-ce que tu en fais? glapit la jeune femme, ébranlée par ces propos.

    __ J’aime Moreau, tu sais. Il est l’homme de ma vie. Notre intimité m’est capitale. C’est la même chose pour lui. Pourtant, d’autres femmes que moi partagent sa vie. Et tu crois que cela altère nos rapports intimes? Pas du tout. Je dirais même que la complicité qui nous unit vaut mille fois celle des couples standards.

   Dieter, sur les entrefaites, s’avança vers la piscine deux verres de jus frais à la main. Trop concentrées sur notre conversation, nous avions oublié les gars, retournés entre temps à la maison pour nous préparer à boire.

   De nouveau réunis, nous trinquâmes tous les quatre en l’honneur de mes vacances, de la fête, de la vie. Dieter avait l’air particulièrement heureux. J’attribuai cette joie nouvelle au fait que mon entretien avec Noémie correspondait à ses souhaits. Il voyait certainement là, dans cet échange, une façon pour la jeune femme de s’ouvrir davantage. Quant à Noémie, elle semblait contente de s’être fait une amie capable de l’écouter, et un tel rapprochement paraissait la réconforter.

   Le soir venu, aux alentours de dix-neuf heures, Dieter et moi nous trouvions dans la cour arrière en train de nourrir les pigeons tout en nous entretenant sur notre façon commune d’envisager la liberté, lorsque nous eûmes la surprise de voir apparaître Noémie, sortant de sa petite voiture. Nerveuse et tremblante, feignant un bien-être inexistant, elle faisait mine de passer par là, histoire de nous saluer.

   Nous rentrâmes en parlant de tout et de rien. Mais l’atmosphère était soudain devenue un peu lourde, vous l’aurez deviné. Je perçus chez Noémie le besoin de me parler. Un clin d’œil rapide à Dieter suffit pour qu’il se retire en prétextant une petite course à faire. La jeune femme, bien que calme en apparence, bouillonnait de chagrin, de frustration, de confusion et, sans doute aussi, d’agressivité à mon égard malgré la confiance que je lui avais témoignée. Elle aurait voulu me détester, cela je le pressentais, mais mon ouverture envers elle neutralisait sa rancoeur.

    __ Jennifer, amorça-t-elle aussitôt que notre compagnon fût sorti, je sais bien que Dieter ne changera jamais. Je sais aussi que ma jalousie maladive me détruit. Mais quand on aime un homme comme j’aime Dieter, comment peut-on accepter de le voir coucher avec d’autres femmes sans en être affectée? Et puis, pourquoi a-t-il cette propension à vouloir conquérir toutes les femmes? me demanda-t-elle, pleine de désarroi.

    __ Noémie, lui répondis-je avec beaucoup de douceur, tout d’abord tu dois savoir que Dieter ne couche pas avec tout ce qui bouge, malgré l’impression qu’il t’en donne. Dieter n’est pas un don Juan qui accumule les conquêtes pour le plaisir de voir tomber les femmes en se pétant les bretelles. Sa sensibilité l’empêche de courir à droite et à gauche comme le ferait un être dépravé qui ne se soucierait guère des sentiments d’une femme qu’il aime. Si j’ose t’en parler, c’est parce qu’il m’a fait part de sa vision de l’amour et que j’ai pu en saisir sa nature profonde. Il s’agit ici de son équilibre de vie.

    __ Oui mais…

    __ Écoute-moi Noémie… si tu le veux bien. Vois-tu, Dieter ne croit pas à un amour exclusif, sentiment que je partage avec lui, tu le sais, parce qu’il voit en ce genre de relation une possibilité pour chacun de perdre son autonomie au contact de la personne aimée. Ce genre d’amour, sirupeux et collant, amène invariablement deux êtres à se fondre l’un dans l’autre et ainsi à ne plus être capables de mener leur vie l’un sans l’autre. Il est possible qu’un couple standard en arrive à s’aimer même si les amants gardent leur individualité propre, mais cela est très rare. L’amour véritable consiste à aimer l’autre suffisamment pour le laisser libre de penser ce qu’il veut, de faire ce qu’il veut et de voir qui il veut quand il le veut, sinon l’amour constitue le piège le plus pernicieux qui puisse exister. Dans ce cas, cela reviendrait à dire que, sous prétexte d’aimer quelqu’un, on aurait le droit de lui voler son envergure et sa liberté, tu comprends? Cela signifierait : je t’aime, donc je te mets dans une belle cage dorée et je te dégrade!

    __ Je n’ai jamais voulu enchaîner Dieter, je veux simplement qu’il me respecte. Il est très égoïste, reprit la jeune femme.

    __ Le respect! Ah oui, le respect! Parlons-en du respect. Le respect commence d’abord avec celui qu’on s’accorde, Noémie. Et je dirais même qu’il ne concerne que soi! Si chacun apprenait à mieux se respecter, c’est-à-dire à s’écouter, à s’obéir, à consentir à ses besoins, à ses désirs et à ses caprices, il ne serait pas tenté de demander aux autres de remplir cette fonction. Tu traites Dieter d’égoïste. Mais qu’est-ce que l’égoïsme, Noémie, si ce n’est justement de demander aux autres de faire des concessions pour soi? Je ne m’aime pas suffisamment, je n’ai pas confiance en moi, je ne suis que la moitié de moi-même, alors toi, l’autre que j’aime et qui dis m’aimer, tu dois me compléter, m’aimer, et pour me le prouver, vivre pour moi, veiller sur moi, devenir l’autre partie de moi-même, celle qui me manque, même si pour cela tu dois piétiner tes propres goûts, tes désirs, tes attentes. Quelle pitié!

   » Dieter est un homme généreux envers lui-même et également envers toi, Noémie, repris-je plus doucement, car malgré ses sentiments à ton égard, il te laisse toute latitude. Il m’a confié qu’il n’a vu que très peu de femmes depuis qu’il te connaît, parce qu’il t’aime réellement et ne tient pas à te blesser. C’est sa façon de te respecter, si on veut. Mais de voir d’autres femmes à l’occasion l’aide à rester jeune, vivant, alerte, et cela n’altère en rien les sentiments qu’il éprouve pour toi. D’ailleurs, m’a-t-il confié, l’important pour lui ne consiste pas tant à rechercher la présence d’autres femmes, mais de savoir qu’auprès de la femme aimée, il peut vivre et respirer comme bon lui semble. L’appui que tu lui témoignerais en approuvant sa liberté serait une grande preuve de ton amour pour lui. De ton côté, ta liberté et ton épanouissement à travers certaines aventures, que tu pourrais te permettre toi aussi, ne feraient que te rendre plus belle et plus désirable à ses yeux. L’essentiel n’est pas de te payer des aventures si tu n’en as pas le goût, mais de comprendre que tu es libre. Libre de faire tout ce qui te plaît. Non pas en vertu de la loi des autres, mais parce que tu l’as décidé. Libre de reconnaître la liberté de celui que tu aimes également…

    __ Tu dis que dans cette vie on est libre et qu’on peut faire tout ce qu’on veut. C’est bien beau en théorie, mais dans la pratique, c’est autre chose. Si j’ai le goût de tuer quelqu’un ou de le voler, tu ne vas quand même pas me dire que j’en ai le droit? me rétorqua-t-elle d’un ton péremptoire.

    __ Ta question est intéressante, lui dis-je, en souriant. Mais, dis-moi, n’as-tu jamais entendu parler de la conscience? Je ne te parle pas de la conscience morale qui te dit que ceci est bien ou que cela est mal en vertu des règles de la société, mais d’une conscience dont les critères se fondent sur ton propre bien-être, sur une paix intrinsèque. Dis-moi, pourrais-je tuer ou voler quelqu’un, indépendamment de la loi, si je savais, tout au fond de moi-même, qu’en agissant ainsi, c’est moi que je fustigerais et blesserais à travers les autres?

    __ Elle est bien bonne celle-là!

    __ C’est que, vois-tu, Noémie, en tant qu’humains, nous sommes tous différents les uns des autres tant par notre physique, notre intelligence, nos goûts que par tout le reste. C’est une différence d’essence. Mais dans l’être, nous ne sommes séparés de personne. C’est ce qui explique que ce que je fais à l’un, c’est à moi que je le fais. C’est la réalité, je te l’assure. Ce n’est pas une théorie, c’est un fait d’expérience. Aussi reçoit-on toujours le résultat de nos pensées, de nos gestes, de nos doutes.

    » Et, pour conclure, lui dis-je joyeusement afin d’alléger cet entretien un peu trop sérieux, je peux te dire que lorsqu’on a compris cela, notre liberté ne peut plus en aucune façon faire de tort à personne!

   Pour changer de sujet, j’invitai Noémie à me parler de son travail et de ses activités sociales. Elle finit par se détendre complètement après m’avoir raconté quelques anecdotes cocasses. Un peu avant le retour de Dieter, à ma suggestion, nous en vînmes même à imaginer un scénario amusant qui ferait la preuve de ce qu’elle avait compris. Nous nous couchâmes dans le lit de Dieter si bien que, lorsqu’il arriva, aux environs de vingt-deux heures trente, il eut la surprise de nous trouver… presque nues dans ses draps! Charmé par l’audace dont faisait preuve Noémie et par le plaisir que je prenais à initier sa jeune amie en lui inculquant la notion du partage, il nous offrit une coupede champagne pour fêter l’événement. Sûrement aussi pour maintenir l’atmosphère de plaisir qui régnait dans la chambre…

   Toutefois, avant de venir nous rejoindre au lit et de se glisser entre nous deux, il nous fit d’abord, avec émotion et non sans panache, un petit spectacle exhibitionniste très drôle. Il commença par se déshabiller, très lentement, et improvisa un strip-tease extrêmement distrayant, jetant ici et là ses bas, sa chemise, sa ceinture, son pantalon et finalement, sa petite culotte, qu’il fit virevolter dans les airs. Nous le regardions en riant de son air enjôleur et des provocations qu’il nous adressait en ondulant du bassin. Il vint se blottir alors dans nos bras. Chacune de nous le caressa de la tête aux pieds, de manière plus enfantine qu’érotique.

   Dieter se prêtait allègrement au jeu, sachant très bien que ces badineries se limiteraient à quelques attouchements frivoles. Mais il était heureux de voir Noémie prendre part à une expérience à trois susceptible, l’espérait-il, de l’aider à vaincre sa jalousie. Nous nous endormîmes ensemble, Dieter au milieu, Noémie et moi collées de chaque côté de lui, rassasiées de notre audace et de notre complicité.

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