CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU

– Je te connais depuis longtemps, et ce n’est que depuis peu que je te remarque. C’est quand même inouï ! En fait, je crois que je te trouvais un peu trop jeune pour moi.

– Tu veux dire que tu te pensais trop vieille ? répliqua-t-il aussitôt d’un air malicieux.

– Pas du tout! C’est toi qui m’apparaissais trop jeune, repris-je moqueuse, ayant reconquis toute ma confiance.

– Tu es une vraie déesse, Jackie !  Sur ce il m’empoigna par la taille et m’embrassa vigoureusement.

Comme tous les samedis depuis trente-cinq ans à cette époque, André donnait une conférence chez lui ce soir-là. Pour mieux l’écouter, les invités s’étaient assis devant lui de façon à former un demi-cercle. Fidèle à mes habitudes, j’avais monopolisé le grand fauteuil du salon qui me permettait de m’allonger nonchalamment les jambes.

À la droite d’André se trouvait Marc St-Tropez, un jeune homme féru de l’enseignement jovialiste auquel je n’avais jamais vraiment porté attention auparavant. Tout ce que je savais de lui était qu’il venait de la région de Québec, qu’il s’était déjà rapproché d’André et d’une de ses compagnes au point de partager occasionnellement leurs petites soirées intimes et qu’il vivait depuis un an à Montréal. André l’estimait particulièrement. Il ne devait pas avoir plus de trente-deux, trente-trois ans, me semblait vif, intelligent et authentique, mais en dépit de ces qualités inestimables, Marc m’apparaissait davantage comme un jeunot que comme un homme. Il faut dire que j’avais au moins quinze ans de plus que lui.

À un certain moment, alors qu’il glissait négligemment une main dans ses cheveux pour les dégager de son visage, mon regard pivota dans sa direction. C’était une main forte, grande ouverte sur des cheveux ondulés un peu longs. Du coup je le remarquai, comme si c’était la première fois que je le voyais. Ce que je veux dire, c’est que… je le trouvai beau. Très beau ! Il écoutait André attentivement, quoique d’un air décontracté, et quand ce dernier cita L.-F. Céline en reprenant sa fameuse sentence : « L’amour c’est l’infini mis à la portée des caniches », je vis sur ses lèvres un sourire d’approbation. Je souris aussi, car je savais ce que cela signifiait, ayant moi-même été un brin caniche ces dernières années. Serait-ce lui, me dis-je aussitôt, l’amant que je convoite tant pour m’aider à me renouveler et à refaire mon énergie ?

Je me mis à l’observer discrètement. Ses traits étaient réguliers et détendus. Sa peau satinée légèrement ambrée reflétait une sorte de rayonnement. Ses yeux portaient la marque de celui qui aspire à s’éveiller. La couleur des yeux n’a rien à voir naturellement avec le potentiel d’être ou de ne pas être, c’est la flamme perçue dans le regard qui dit tout. Et le regard bleu clair de Marc en était un qui exprimait la lumière qui l’habitait, la conscience qu’il portait à lui-même. Car, je le perçus, sous son jeans délavé et son chandail rouge, Marc était quelqu’un de vrai, de transparent.

Comment se pouvait-il que ce beau garçon ait été depuis si longtemps auprès de moi sans que je ne m’aperçoive de sa présence? Marc était pourtant ce type de jeune homme qu’on ne peut ignorer !

À la fin de la conférence, quand il se leva pour saluer André et les autres, je constatai à ma plus haute satisfaction qu’il était grand et costaud. Mais je n’étais pas au bout de mes surprises : lorsqu’il s’avança vers moi pour venir m’embrasser sur la joue, comme chacun le faisait après chaque conférence, j’eus l’agréable surprise de sentir ses lèvres douces et charnues non sur ma joue, mais… sur mes lèvres.

– Ce que c’est agréable, me dit-il d’un ton chatoyant, d’embrasser une jolie femme sexy, qui de plus est mature !

Pour la première fois depuis des lustres, je me sentis rougir. Est-ce que Marc, depuis que je le connaissais, m’avait déjà fait un tel compliment ? Avait-il déjà tenté quoique ce soit pour me séduire ? Je n’en avais aucun souvenir. Or ce soir-là, il semblait lire dans mes pensées.

Quand tout le monde fut parti, je m’installai au comptoir de la cuisine. André se prépara une tisane et vint s’asseoir devant moi comme il le faisait la plupart du temps après ses conférences. Chuchotant pour ne pas réveiller la « Déesse » qui dormait dans la chambre, nous aimions nous donner l’occasion d’un dernier tête-à-tête avant d’aller nous coucher.  Mais ce soir-là, je brûlais d’envie de lui parler de Marc.

– André, tu te souviens de ce que je t’ai dit récemment, à propos d’un éventuel amant qui… réveillerait ma libido ? » hasardai-je en prenant mon air de petite fille en quête d’approbation. Eh bien, je l’ai peut-être trouvé.

– Et quel est ce chanceux ? me demanda-t-il en souriant.

– Tu sais que je connais Marc depuis longtemps, mais…

– Marc ? Tu ne pouvais pas trouver mieux, ma chérie ! Tu as mon appui à cent pour cent. Marc est un jeune homme qui suit mes conférences depuis huit ans avec assiduité, qui tente avec beaucoup de sérieux de mettre les principes du jovialisme en pratique et qui réussit très bien. Je le considère comme mon jeune frère.

– Je ne t’ai encore rien dit, il me semble, pour te laisser supposer qu’il peut être question de Marc, lui répondis-je en tâchant de dissimuler mon excitation.

– Mais oui ma chérie, tu as tout dit. Tes yeux se sont illuminés au moment où tu prononçais son nom. Envoies-toi en l’air avec lui, fais-en ton amant et soyez deux lumières dansantes !

La semaine suivante, Marc revenait à la conférence comme à son habitude. À partir de ce jour, je vécus auprès de lui une aventure magique où la conscience éclairée et le souci de notre liberté respective nous rapprochaient de plus en plus au fil des années et cela en dépit de notre différence d’âge. Avec le temps, Marc devint ainsi mon troisième compagnon, les deux autres, bien entendu ! étant toujours là.

Un attachement profond et une complicité jeune et joyeuse sont toujours présents entre nous après 12 ans.

À suivre…

P.S. Ce texte est tiré du troisième tome de ma trilogie à paraître éventuellement La Chaleur boréale.

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