Chapitre 13

Il faisait à peine jour lorsque j’entendis, par les volets de la fenêtre restés ouverts à cause de la chaleur, un cocorico retentissant, puis un deuxième à la seconde près. Ils semblaient provenir du village mais, selon la fréquence et l’intensité du son, d’endroits opposés l’un de l’autre. Dans l’instant qui suivit, un bruit qui ressemblait à une sorte de roucoulement, que le demi-sommeil m’empêcha d’identifier, attira mon attention. J’ouvris les yeux. Dans la lumière claire du matin, je vis une vingtaine de pigeons qui s’envolaient du toit avec un battement d’ailes vrombissant.

   Jamais, à Montréal, je n’ai entendu de coq chanter et, malgré la multitude des pigeons dans la ville, jamais non plus je n’ai assisté à une envolée aussi majestueuse. Au souvenir de cette vision étrange et de ces sons si mélodieux, je conçois encore, aujourd’hui, qu’il me fut accordé, ce jour-là, un cadeau céleste, une communion avec des « objets idéaux éternels » comme le soulignerait Moreau.

   Je jetai un coup d’œil à Dieter. Il dormait à poings fermés. Comment fait-il pour continuer à dormir avec tout ce vacarme? me demandai-je, avant de comprendre que ces bruits devenus trop familiers n’étaient sans doute plus célestes pour lui, à moins qu’il ne les appréciât en silence. Je l’observai un instant. Avec ses cheveux défaits et son corps légèrement recroquevillé sur lui-même, il me faisait penser à un enfant endormi qui nous donne envie de le caresser, ce que je ne pus m’empêcher de faire. D’une main j’effleurai doucement son visage, ses épaules, son torse. Dans son demi-sommeil, il poussa de langoureux murmures de satisfaction. Émue de le voir s’abandonner ainsi à mes caresses, je le regardai en souriant et je le câlinai à nouveau. Mais comme il ne devait guère être plus de six heures du matin ou à peu près, je le laissai dormir et décidai d’en faire autant. Je refermai les yeux et replongeai dans un sommeil profond.

   Lorsque je me réveillai aux alentours de dix heures au son d’une musique douce, une odeur agréable de café excita mes narines. Je me levai, me rendis à la salle de bains, puis au salon où je pensais le trouver. À part un chat étendu de tout son long sur une des chaises de la véranda, je ne vis personne. Une fois de plus j’admirai, saisie d’émerveillement, le panorama étalé sous mes yeux. La clarté du ciel, presque éblouissante, faisait miroiter les toits des maisons. L’herbe verte, les somptueux mimosas, les lauriers en fleurs et la Méditerranée au loin m’imprégnèrent de sérénité. Déjà, à cette heure, il faisait chaud. Dieter avait repoussé les portes de la véranda et l’air tiède, quelque peu humide, qui traversait la pièce était comme une caresse sur ma peau. La musique que j’écoutai plus attentivement me rappela certains chants tibétains, telle une musique apaisante de méditation.   

   J’examinais les lieux quand je remarquai par hasard, au-dessus des portes coulissantes donnant accès à la véranda et fixée au mur à trente centimètres du plafond, une planche de bois sur laquelle s’alignaient une trentaine de livres. Je ne me souvenais pas les avoir remarqués le soir précédent. La plupart étaient écrits en allemand, certains en anglais. J’y reconnus entre autres Les Versets Sataniques, 1984, Mein Kampf et quelques titres d’Hermann Hesse et d’Aldous Huxley. Cela me plut.

   Je pris une douche et, une tasse de café à la main, je sortis par la porte arrière par oùj’étais entrée la veille.

   Au fond de la cour, Dieter, en maillot de bain, jetait ici et là des graines aux pigeons attroupés qui s’en régalaient. Trois chats, dont deux que je reconnus, furetaient aux alentours sans se soucier des oiseaux. Étrangement, les oiseaux ne se préoccupaient pas davantage de la présence des chats. J’allais m’avancer à pas feutrés pour ne pas troubler ce petit monde quand Dieter me vit tout à coup.

     __ Fräulein! Comment allons-nous ce matin? me lança-t-il énergiquement, sans s’inquiéter de l’effet que sa voix retentissante pouvait produire sur ses compagnons à plumes, lesquels devaient en avoir vu d’autres car ils ne bronchèrent pas. Seuls quelques craintifs s’éloignèrent en sautillant et en battant de l’aile pour revenir presque aussitôt.

    __ Divinement bien! lui répondis-je. Les coqs, les pigeons, les chats, le soleil, la mer et toi, mon cher, c’est le paradis!

   La journée passa comme un éclair. Baignades à la piscine, sieste en après-midi, rangement de mes vêtements dans le placard de la petite chambre d’invités.

   Un peu avant l’heure du souper, Dieter me proposa d’aller faire quelques emplettes. L’idée me ravit.

   À bord de la Jeep, nous parcourions les rues du village quand il aperçut, sortant d’une boutique, une jeune femme qui le reconnut au même instant. Par le regard contrit qu’elle jeta sur lui, je perçus la peine qu’elle éprouvait de me voir à ses côtés. Dieter réclama mon indulgence afin de lui accorder quelques minutes.

   Ils conversèrent un moment, puis s’avancèrent ensemble vers la Jeep :

    __ Jennifer, je te présente… Noémie, me dit-il un peu mal à l’aise.

   Les yeux légèrement rougis et humides, la jeune femme me rendit mon sourire en me souhaitant la bienvenue sur la Côte. Malgré sa bienveillance, je devinais sa souffrance; je la sentais éperdument amoureuse de Dieter. Je notai sa grande beauté et je fus touchée de sa délicatesse, car malgré les sentiments douloureux ressentis face à la venue d’une nouvelle flamme dans la vie de Dieter, qui l’avait avisée lors d’une récente rencontre, elle n’en laissait presque rien paraître.

   Sur le chemin du retour, Dieter m’expliqua la nature des liens qui l’avaient uni antérieurement à Noémie.

    __ Nous afons rompu, me dit-il, deux mois afant mon foyage au Québec. Habitant le même fillage, il nous est difficile de ne pas nous rencontrer à l’occassion, ce qui crée toujours des remous, pour elle surtout. Ta préssence n’a donc rien à foir avec notre séparation, ajouta-t-il, comme pour écarter de moi toute pensée de culpabilité ou malaise quelconque.

   » Je ne suis pas un homme facile à comprendre pour les femmes, poursuivit-il. De toutes celles que j’ai rencontrées, I may tell you que tu es bien la première à être capable de concefoir la liberté dans l’amour à la façon dont je la conçois, s’exclama-t-il, comme s’il pouvait enfin partager avec… une femme, ce qui lui avait semblé jusqu’alors impossible!

   » Ma liberté passe afant tout, et bien que j’adore Noémie, sa préssence trop accaparante m’est parfois insupportable. Sa jaloussie surtout. Je sais qu’elle tente sincèrement de comprendre le genre de fie que je lui proposse, c’est-à-dire de poufoir nous aimer sans brimer notre liberté, mais son système nerveux lui joue soufent des tours. I suggest her deux mois ago, de prendre du recul par rapport à notre relation. Je n’aime pas rompre avec les femmes qui me sont chères, mais dans le cas de Noémie, et après tant de crisses de jalousie, horrible je t’assure, j’ai pensé que de la laisser à elle-même could help her à foir s’il lui est possible de concefoir la fision that I propose her.

   Revenus à la maison, je pris encore une douche pendant que Dieter préparait le souper. Nous venions de terminer notre repas et savourions notre café paisiblement, en poursuivant la conversation de la veille en rapport avec les émotions, quand nous entendîmes la porte arrière s’ouvrir et des pas retentir dans le salon. Dieter se leva aussitôt de table quand Noémie nous apparut dans l’encadrement de la porte. Les yeux bouffis, gonflés et rougis, elle nous regardait, affligée. Devinant son émotion, je m’esquivai à l’extérieur de la maison pour les laisser seuls, le temps d’une explication.

   Au bout d’une heure, après avoir conversé avec les pigeons, les colombes et les chats, je rentrai dans la maison. Sans les déranger, je me retirai dans ma chambre à coucher, un peu fatiguée. Je m’allongeai sur le lit et m’endormis presque aussitôt, épuisée par le décalage horaire, le soleil et l’alcool de la veille.

   Vers minuit, Dieter se glissa sous les couvertures. À moitié réveillée, je sentis son baiser sur mon front.  Mais afin de lui épargner l’embarras d’un entretien à cette heure tardive, je fis mine de dormir. J’appréciai sa tendresse et sombrai à nouveau dans un sommeil paisible.

   Le lendemain matin, au petit déjeuner, il tint à m’expliquer que la présence de Noémie, la veille, n’était en aucune façon prévisible. Il s’excusa de m’avoir laissée à l’écart. Au cours de la journée, toutefois, malgré une promenade sympathique dans les environs et quelques baignades, je constatai chez lui un léger changement d’attitude. Je le sentais préoccupé. Le soir, nous nous couchâmes comme deux étrangers respectueux de leur intimité respective. Il était perturbé, mais comme il ne montrait aucun désir de vouloir en parler, je n’insistai point.

   La quatrième journée de mon séjour, le soleil torride et la chaleur accablante, dès dix heures du matin, nous invitaient une fois de plus à profiter de la piscine. Notre serviette de plage à la main, nous descendions la butte quand je vis, entièrement nu, couché à plat ventre sur un matelas pneumatique, Joël se laissant glisser sur l’eau. Quelle vision inattendue et troublante!

   Dieter lui jeta quelques mots que je ne retins point. Un peu confuse devant sa nudité, j’admirais, à la dérobée, les formes de son corps. Des gouttelettes d’eau ruisselaient sur sa peau et rendaient celle-ci incroyablement lumineuse. Une majesté émanait de sa chair. Ses bras étaient sculptés sans être trop musclés, ses épaules larges mais sans disproportion, son dos solide. Son tronc, légèrement arqué, amplifiait la rondeur de ses fesses. Ses jambes athlétiques et bien dessinées étaient longues, si bien que ses orteils trempaient dans l’eau. Son corps suscitait l’envie de s’y allonger pour le recouvrir, de le caresser, de ne cesser de le caresser!

   Comme à son habitude des derniers jours, Dieter retira rapidement son short et plongea nu dans l’eau. Une fois de plus, je fus confrontée à devoir prendre une décision : allais-je ou n’allais-je pas retirer complètement mon bikini? Je n’avais jusqu’alors éprouvé aucun malaise à me baigner nue auprès de Dieter une fois l’intimité établie, j’avais même apprécié la liberté de pouvoir jouir pleinement de la fraîcheur de l’eau sur mon corps. Mais de me dévêtir devant Joël représentait pour moi un moment important. Et puis, surtout, me demandais-je, me trouverait-il toujours aussi belle, nue, que lors de notre première rencontre?

   Ce moment où il s’était retourné vers moi à l’aéroport pour me faire un compliment inoubliable…

   Savoir plonger en un mouvement rapide et élégant aurait pu, à tout le moins, me dédommager honorablement de mon embarras, mais de toute ma vie je n’avais jamais réussi à plonger sans faire un plouf grotesque. Sauter à l’eau toute nue en me bouchant le nez ne m’apparaissait pas davantage du meilleur goût, d’autant plus que, par ce geste, je n’aurais fait qu’attirer l’attention sur moi. Aussi… retirai-je les deux pièces de mon maillot et, lentement, je descendis les marches de ciment qui s’enfonçaient dans l’eau. Avec une gêne dissimulée, je nageai en direction de mes compagnons. Sans plus attendre, à coup sûr pour me dérider et mettre de l’entrain dans la piscine, Dieter m’éclaboussa vigoureusement.

   Bientôt, effectivement, ce fut sans pudeur que je pus m’amuser auprès d’eux à l’envi. Les tentatives de Dieter pour jeter Joël en bas du matelas pneumatique me détendirent. Ma participation enthousiaste aidant, Joël se retrouva vite sous l’eau et, à mon étonnement autant qu’à mon grand plaisir, me saisit aussitôt les jambes pour me surélever dans les airs et me rejeter plus loin. Nos cris de joie, nos rires, nos enfantillages, me remplissaient de bonheur.

   J’étais en vacances avec deux supermâles, beaux, riches, intelligents. Comme je me sentais bien!

   Après une vingtaine de minutes dans la piscine – un record pour moi, car, n’étant pas une adepte de l’eau je n’en profitais que pour me rafraîchir lors d’une trop grande chaleur –, j’éprouvai le désir de m’étendre au soleil. M’adressant naturellement à Dieter qui flottait maintenant sur un coussin d’air, je requis, coquine, son assistance pour m’enduire de crème solaire. Ce qu’il ne comprît pas ou… fît mine de ne pas comprendre! Ce dernier semblait ignorer totalement ma demande lancée à deux reprises. Se faisait-il complice de son ami en abandonnant à ce dernier une pareille occasion? Est-ce par hasard qu’exactement, à ce moment-là, Joël sortit de l’eau?

   De le voir entièrement nu, debout, dans toute sa beauté, me rendit très fébrile. Et pourtant, d’un air de candeur affecté, feignant l’indifférence, j’osai lui demander de me rendre ce petit service… qu’il accepta aussitôt avec le même détachement factice.

   Je ramassai ma serviette de plage, allai l’étendre dans un coin un peu en retrait de la piscine et me couchai à plat ventre, sans dire un mot. Joël s’approcha de moi et, à cheval sur mes fesses – geste que je trouvai fort téméraire mais que je ne repoussai point – il pressa le tube au dessus de mon dos pour y laisser s’échapper la crème que le soleil avait réchauffée.

   De ses deux mains douces, il étala d’abord le produit soigneusement, puis, d’un mouvement enveloppant, contourna mon cou, mes épaules et mes bras. Il revint sur les parties médianes et latérales du dos et les massa jusqu’à l’absorption complète de la crème. Ensuite, après s’être agenouillé à mes côtés à la hauteur des cuisses, il versa une quantité de crème sur mes fesses, les pétrit sensuellement, et fit de même pour mes jambes et mes pieds.

   J’ignorais à ce moment l’excitation qu’iléprouvait à toucher mon corps. Quant à moi, ses mains sur ma peau me procuraient une sensation extrêmement troublante. En est-il de même pour lui? me demandais-je.

    __ Maintenant sur le dos, m’ordonna-t-il comme s’il effectuait un massage en règle.

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