CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU

« T’as besoin de 2000$ ? Je t’en prête 1 000 que tu me remettras à raison de 100$ par mois pendant trois ans ! », me lança-il tout à fait sérieux. « Quoi ? Euh…  100 $ par mois pendant trois ans ? », repris-je en comptant rapidement dans ma tête.

La semaine d’avant, me voyant aux prises avec une carte de crédit boursouflée, j’avais confié à une personne la nécessité de me trouver 2000$ au plus tôt. Cette dernière, bien intentionnée quoique manquant carrément de jugement, en avait discuté de son côté avec une connaissance qu’elle supposait pouvoir m’aider. Lorsque je vis son nom inscrit sur mon afficheur au moment où le téléphone sonnait, je faillis bien ne pas répondre : je n’avais pas aimé les vibrations de cet individu que j’avais déjà rencontré une fois ! En outre, non seulement je n’avais aucune idée de la raison de son appel, mais encore moins de la façon dont il avait pu se procurer mon numéro de téléphone. Mais avec l’avenue de l’informatique, ce genre de question ne se posait plus.

Or, après avoir réalisé l’absurdité de ce que cet homme exigeait de moi en échange de son prêt, mais sachant également qu’il me fallait l’épargner pour ne pas le brusquer ou l’humilier, le sachant extrêmement susceptible, je lui mentionnai le plus doucement possible que le montant demandé en intérêt était au-dessus de mes moyens. Cet individu venait de me dévoiler son vrai visage, celui-là même que j’avais pressenti la première fois derrière ses mots doucereux, et je n’appréciais vraiment pas cette conversation.

Mais je n’avais encore rien entendu ! « Tu ne veux pas de mon argent ? se mit-il à aboyer dans le récepteur. Tu me fais perdre mon temps ! Je n’ai pas que çà à faire de t’appeler pour te rendre service ! Pour qui te prends-tu ? Madame refuse de faire affaire avec moi, ironisa-t-il, rempli d’une mesquinerie dégradante envers moi. Tu n’es rien, Jackie, tu n’es qu’une pauvre petite femme qui se prend pour une grande dame ! Ce que je t’offre est une aubaine ! » Et il continuait de crier au téléphone, de me bombarder d’insultes, de m’injurier comme si j’étais de la merde. Ses mots orduriers m’étaient extrêmement pénibles à entendre : se faire ratatiner de la sorte, abaisser, humilier, surtout quand le ton des vitupérations est très élevé, devient infernal. C’était réellement insupportable à écouter, d’autant plus qu’il n’en finissait pas de glapir, comme s’il prenait un réel plaisir à s’écouter lui-même !

S’il n’y avait pas déjà eu en moi une certaine confiance me permettant de l’entendre me salir sans me sentir souillée, je me serais effondrée sur-le-champ, que dis-je ? liquéfiée. Et le pire dans tout ça, c’était que je ne pouvais pas lui fermer la ligne au nez. Son orgueil bafoué, sa susceptibilité exaspérée, sa colère quintuplée par l’humiliation ressentie d’avoir été si facilement mis de côté n’aurait fait qu’alimenter son courroux dont j’aurais pu faire les frais ultérieurement.

Je ne savais que faire pour m’en débarrasser. C’est alors qu’un aspect particulier de la mythologie gréco-latine me vint à l’esprit ! Non seulement la Grèce antique avec ses divinités m’avaient fascinée au cégep, mais André m’avait déjà consacré des dimanches après-midi complets à m’enseigner tout ce qui pouvait contribuer à aiguiser ma culture, dont cette fameuse mythologie qui représente les bases de la société occidentale. Comme une ultime ressource, je me rappelai soudain le bouclier d’Athéna.

« Je place devant moi le bouclier d’Athéna ! fis-je aussitôt en pensée avec autorité. Qu’il me prémunisse contre ces mauvaises vibrations qui viennent vers moi et qu’elles soient immédiatement renvoyées à l’envoyeur! », ordonnai-je avec toute la puissance dont j’étais capable, me rappelant du coup ce mot d’André pour annuler toute attaque mesquine. Je visualisai alors clairement devant moi le bouclier, ainsi que les vibrations qui, venant s’y heurter, retournaient vers cet homme avec la même intensité que celle qu’il avait émise. Il s’arrêta net de parler. J’en profitai pour lui dire doucement que je devais le quitter, prétextant quelqu’un à ma porte. Puis, je le saluai aimablement. Sitôt la conversation terminée, je me mis à trembler comme une feuille. Je venais d’être confrontée au Diable en personne !

Ces dieux et ces déesses qui avaient marqué la Grèce antique étaient toujours vivants en moi et constituaient des modèles auxquels je pouvais m’identifier ou auxquels je pouvais référer en cas de besoin. Carl Gustav Jung parlait d’archétypes et c’est bien de cela dont il s’agit : de puissantes énergies dont chacun peut se servir à son gré !

Le lendemain en soirée, j’appris que le monstre avait eu un grave accident d’automobile dans la journée. Il s’en était tiré avec quelques égratignures, mais sa voiture était complètement démolie. En aucun moment je ne lui avais souhaité du mal, j’avais seulement voulu qu’il disparaisse de mon environnement. Cet accident ne me semblait vraiment pas tenir du hasard ! Avait-il été frappé par ses propres vibrations qui revenaient vers lui ?

« Je n’ai pas pensé à mon être à ce moment-là », dis-je à André en lui racontant cette histoire épouvantable. J’aurais pourtant dû ! » poursuivis-je avec regret. « Jackie, c’est ton être qui t’a donné l’idée de faire appel au bouclier d’Athéna, me répondit-il sur-le-champ. À partir du moment où nous commençons à constituer notre être, ce dernier se manifeste de façon souvent imprévisible, comme tu as pu le constater. Il sait mieux résoudre les problèmes avec ses moyens parfaits que la personne avec ses moyens imparfaits. »

Six mois plus tard le misérable mourait, le corps totalement paralysé. Deux secondes avant la fin, son œil droit bougeait encore, avide de trouver quelqu’un à blesser.

©2024 Jackie Lacoursière | Création du site ChampionWeb.ca

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