CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU 

Journal 1995, 21 Juin

Depuis un certain temps, il se présente beaucoup d’étudiants aux conférences d’André. Certains d’entre eux possèdent des connaissances en philosophie et ont lu quelques grands auteurs. André se dit très heureux de recevoir ces jeunes intelligences avides de comprendre son enseignement, même s’ils sont souvent sans le sou et qu’il les laisse entrer gratuitement. Il ne ferme la porte à personne. Honnêtement, je ne connais pas beaucoup de conférenciers suffisamment généreux pour laisser entrer sans frais dans leur salle des gens démunis ou des étudiants. Pas surprenant qu’il ne soit pas riche !

Ce que je trouve honteux toutefois de la part de certains jeunes, c’est qu’en plus d’assister aux conférences sans payer, ils se retrouvent bien souvent à la fin de la soirée en train d’engloutir des bières à la brasserie avec des amis. Comme c’est curieux de voir soudainement apparaître de l’argent dans leurs goussets ! Et ce sont ceux-là qui pendant les conférences s’arrogent le privilège de contredire André, de le confronter, de le critiquer comme s’ils voulaient absolument le prendre en défaut. Qu’ils le bombardent de questions pour mieux comprendre sa philosophie, cela est tout à fait légitime et même souhaitable, mais qu’ils entretiennent des confrontations oiseuses pour le plaisir de se faire entendre est intolérable. Si ces gens le considèrent si peu, que font-ils chez lui ? Réalisent-ils à qui ils ont affaire ?

Hier soir, justement, une discussion violente a éclaté. Un jeune homme arrogant qui se prend littéralement pour un génie, fier comme un paon, poète à ses heures, s’en est pris de façon virulente aux propos d’André, l’accusant d’être brutal dans ses discours. Mais n’a-t-il pas confondu enthousiasme et agressivité ? Tout en prônant fermement le pacifisme et la paix dans le monde, tel un coq belliqueux il s’emportait, criait, ne semblant nullement comprendre que les reproches qu’il adressait à André trahissaient ses propres frustrations. Une dizaine d’autres jeunes se sont alors exprimés à leur tour, lui faisant savoir sans mesquinerie mais sans retenue que sa vanité et ses grandes prétentions n’impressionnaient personne, surtout qu’elles n’étaient pas fondées. Finalement le garçon s’est retiré, en proie à une extrême colère, se retrouvant seul dans son camp.

Comme beaucoup d’autres qui n’ont jamais vraiment lu l’œuvre d’André ou ne l’ont entendu qu’occasionnellement en conférence, ce jeune homme croyait comprendre parfaitement son système de pensée. Histoire de tenter de se prouver qu’il était capable de tenir tête à un grand philosophe, le contredire rehaussait son estime de soi.

André m’a mentionné en fin de soirée qu’il ne lui en voulait pas. Ce garçon est schizophrène et se révèle particulièrement bavard et violent lorsqu’il n’a pas pris ses médicaments. Il m’expliqua qu’il y a dans la schizophrénie, non seulement une rupture avec la réalité, mais une rupture avec soi-même, ce qui entraîne une non-conformité dans l’attitude de la personnalité.  Coupé du monde et de soi, il ne peut concevoir de ce fait l’idée de l’immanence (où la distinction entre l’intérieur et l’extérieur disparait), celle-ci étant inspiré de l’être qui est le Tout-en-tout.


P.S. 2018 –  C’est bien ce que j’avais cru entrevoir dans le jovialisme jusque-là, sans vraiment comprendre toute la portée de cette explication.  Aujourd’hui, je sais que tout prend son sens dans la communion et qu’aucune séparation n’est autorisée dans la compréhension fondamentale des choses. C’est pourquoi ni Dieu ni la Matière ne trouvent grâce dans cet univers d’harmonie, étant donné que toute transcendance implique une distance.

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