CONFIDENCES – MA VIE AUPRÈS D’ANDRÉ MOREAU

Dans mes jeunes années, j’avais été mannequin amateur pour différentes boutiques de vêtements. J’ai vécu ma première expérience de ce genre à 14 ans, et comme ma plus grande crainte était de tomber devant tout le monde en montant les cinq marches qui menaient à la plate-forme, c’est exactement ce qui m’est arrivé !

Mais cela ne m’a pas découragée et j’ai pris bientôt un réel plaisir à participer à des défilés de mode organisés dans ma ville. Me faire coiffer et maquiller pour ensuite présenter des vêtements magnifiques devant des regards ébahis était devenu pour moi une activité passionnante, d’autant plus que chaque fois je revenais avec une jolie robe, un chandail ou un pantalon, article que j’avais porté au cours de la soirée de présentation. C’était la façon dont on me rémunérait pour mes services et cela me convenait parfaitement.

Les années ont passé, j’ai cessé d’exercer ce hobby amusant, puis j’ai oublié. Un jour que j’avais grandement besoin de renouveler ma garde-robe, cette activité me revint à l’esprit. J’en discutai avec André qui se montra ravi de cette idée. Mais il y avait un petit problème à résoudre : déménagée à Montréal depuis cette époque, j’avais perdu tous mes contacts d’antan! Donc, la possibilité la plus simple qui me restait était d’aller rencontrer un par un les manufacturiers de vêtements féminins afin de leur offrir mes services. Beaucoup d’entre eux engageaient des jeunes femmes pour montrer leurs nouveautés de la saison aux acheteurs des boutiques qui faisaient affaire avec eux. J’avais alors 42 ans, mais comme j’avais l’air jeune, c’était ce que les autres percevaient !

Or la semaine suivante, après avoir pris le temps de me pomponner, je me dirigeai toute fraîche et dispose vers la rue Chabanel qui était reconnue à l’époque pour être le haut-lieu de la guenille dans la région. Je dus frapper en fin de compte à plusieurs portes sans succès, car ou bien les commerçants ne fonctionnaient pas de cette façon pour faire valoir leur marchandise ou bien ils avaient déjà leur équipe de présentation. J’étais exténuée et pensais sérieusement à revenir chez moi quand je me convainquis avant de partir de frapper à une dernière porte. Ce fut la bonne !

Dans un vaste hall d’entrée, j’attendais à la réception depuis cinq minutes quand un petit homme costaud avec une grosse moustache s’avança vers moi. Il me pria de le suivre jusqu’à son bureau.  Courtois, aimable, il me fit asseoir et m’offrit un café. Pourquoi pas ? S’il ne devait y avoir aucune conclusion positive à cette visite, ce petit moment de détente allait à tout le moins me permettre de refaire mes forces. Il était le propriétaire de l’entreprise. Distingué, très gentil, sans doute d’une dizaine d’années de plus que moi, il portait une alliance au doigt. Derrière ses lunettes à grosse monture noire, ses yeux vifs semblaient enchantés de l’image que je projetais. Nous conversâmes une bonne demi-heure avant que je lui remette ma carte sur laquelle figurait une belle photo de moi avec mes coordonnées. Afin d’éviter le harcèlement, rares étaient ceux qui avaient droit à mon numéro de téléphone. Il fut donc le seul ce jour-là à qui je remis ma carte.

Malheureusement pour moi (et aussi pour lui, ce que je voyais dans son regard !), il ne passait pas par cette procédure publicitaire pour faire connaître sa ligne de vêtements. J’en étais vraiment désolée, car j’aurais facilement accepté de travailler pour lui. Je le remerciai pour le café et pour le temps qu’il m’avait accordé, et je partis.

Le soir même il me téléphonait. Il voulait prendre de mes nouvelles. Toujours aussi poli et plein de délicatesse à mon endroit, il me contacta ainsi pendant cinq mois à raison d’une fois par mois, toujours pour savoir si j’avais trouvé ce que je cherchais et sans jamais s’avancer davantage. Puis, un soir, il se décida et me lança, la voix fébrile : « Jackie, vous feriez de moi l’homme le plus heureux du monde si vous acceptiez de dîner avec moi prochainement. » Je le trouvai tellement charmant ! Alors encore une fois, je me dis : pourquoi pas ?

J’étais une femme libre auprès d’André et je savais qu’il m’appuierait entièrement dans cette décision. À ses côtés depuis trois ans, et également auprès d’un jeune homme de vingt ans mon cadet qui venait me visiter régulièrement pour badiner au lit, je restais ouverte à toute nouvelle possibilité sur le plan amoureux. Or cette rencontre ne m’engageait à rien, naturellement, mais comme je ne trouvais aucun plaisir à jouer avec les sentiments des gens, je ne désirais pas non plus laisser à cet homme gentil un quelconque espoir, étant donné que je n’envisageais aucune relation avec un homme marié.

Carlo était un gentleman. Il m’emmena dans un des plus chics restaurants de Montréal, me traita comme une princesse et souhaita sincèrement avoir une place dans ma vie en dépit des autres hommes proches de moi dont je lui parlai ouvertement ce soir-là. En dépit également de sa femme, avec laquelle les liens s’étaient considérablement relâchés depuis plusieurs années déjà ! C’est ainsi que par sa délicatesse, par son humour et sa ferveur, il sut m’attendrir et me conquérir.  Ce cher homme m’aida souvent par la suite à passer à travers mes fins de mois grâce à de petits cadeaux qu’il me faisait régulièrement, il venait toujours me visiter avec une bonne bouteille de vin rouge quand ce n’était pas avec du porto ou du cognac, me faisait livrer à tous mes anniversaires des bouquets de fleurs magnifiques et…et…  comblait ma garde-robe de splendides vêtements qui sortaient directement de sa manufacture ! Nul besoin de participer à des défiles de mode ou de travailler pour des marchands de guenille : mon être par ses moyens parfaits avait mis Carlo sur ma route !

Mon amoureux aimait bavarder avec moi uniquement pour le plaisir, me répétait-il fréquemment plein d’une dévotion touchante à mon égard, et me questionnait sans cesse sur le jovialisme et en particulier sur l’ouverture d’esprit en amour. La transparence avec laquelle je menais ma vie amoureuse l’étonnait et engendrait chez lui une certaine forme d’admiration pour moi.

Au cours d’une rencontre ultérieure avec André, la «Déesse » et plusieurs de nos amis, mon petit homme aux idées larges se dit très heureux et privilégié de nous côtoyer tous. Carlo est encore dans ma vie aujourd’hui et je l’en remercie.

©2024 Jackie Lacoursière | Création du site ChampionWeb.ca

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